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Paul AUSTER - Dans le Scriptorium – Portrait de l’artiste en vieil homme.
Sur une ligne de style sans barbure (rien que le nécessaire, tout le nécessaire), une ligne rigoureuse et dure à force d’être tendue, comme un funambule, sur cette corde raide, l’écrivain s’engage, au péril de sa raison. Les personnages qu’il a créés lui reviennent sur le tard, en une sorte d’hommage doucereux. Ils lui reviennent, pas seulement à la mémoire que l’écrivain a défaillante : ils ont quelques comptes à régler, semble-t-il…
Car ces personnages, d’abord sortis de l’imagination de Mr Blank qui les avait « envoyés en mission » (celle, sans doute, de donner corps à ses fictions d’auteur), semblent s’être émancipés, et, vivant pour leur propre compte, viennent en demander à l’auteur de leurs jours.
Et, de fait, le texte se présente comme un compte-rendu - pas même récit : compte-rendu -, forme par excellence éloignée de toute fabulation. Pourtant, le doute s’insinue quant à cette réalité, plus molle et plus hypothétique qu’il n’y paraissait d’abord : dans la chambre close de Mr Blank, les étiquettes qui fixent le nom des objets (comme si la chambre elle-même n’était qu'un espace fictionnel) ont été redistribuées.
Alors, ces personnages ne continuent-ils pas à vivre dans la seule imagination de l’auteur ? N’est-ce pas sa culpabilité à leur égard qui serait le moteur de leur vie renouvelée ? On voit Mr Blank capable de poursuivre une histoire qui n’est pas de lui. Il est donc apte à poursuivre ses propres histoires, à redonner vie à ses personnages.
Personnages qui n’avaient d’ailleurs pas dit leur dernier mot. Lâché par eux, mis en abyme, arroseur arrosé, Mr Blank, finit lui-même par devenir personnage du récit. Personnages et auteur sont renvoyés dos-à-dos, dos au mur mou d’une fiction.
Au bout du compte, si rien n’est dur, si rien n’est stable dans cette relation, c’est au style que revient le soin de créer du palpable, sur une ligne sûre et rigoureuse, tendue comme la corde à quoi se raccroche le funambule .
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