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Michel ONFRAY – La puissance d’exister
Le programme est ambitieux : réhabiliter les philosophies non platoniciennes. Redonner vie et vigueur à ces alternatives matérialistes qui firent les riches heures du sophisme antique, de l’épicurisme, du stoïcisme… En faire une synthèse vitaliste ; les allier dans une visée hédoniste.
Platon, on le sait, en tenait pour une philosophie des Idées : le Beau, le Bien, le Juste, selon lui, préexistent comme concepts abstraits (comme essences, diraient les existentialistes) surplombant toutes valeurs humaines qui tendent vers eux: comme transcendants.
Diogène, Epicure, Démocrite et d’autres, à peu près à la même époque moquaient l’idéalisme éthéré et dénonçaient diversement la vacuité de ces transcendants, en promouvant des philosophies opérantes, engagées dans la vie réelle (donc matérielle) sans référent autre qu’elle-même : immanente.
Immanence contre Transcendance. Le combat durerait, encore attisé par les hérauts du christianisme médiéval, puis par Descartes (voir, notamment, la Preuve Ontologique qu’il revivifia) et sa filiation jusqu’à Kant, et c’en serait fini de toute pensée du hic et nunc. Dans l’historiographie de la philosophie, c’en serait fini de toute éthique, politique, esthétique de la joie dans la matérialité du corps, toutes reléguées au musée de fariboles.
Avec souvent un sens du survol et des réalités lues à grands traits de synthèse limpide, Michel Onfray décline donc son manifeste dans tous les axes (éthique, érotique, artistique, politique), en rejetant l’idéalisme. Au crédit de Platon, pourtant (ce qu’Onfray élude dans son livre) : sans l’idéalisme, sans la transcendance, point de géométrie (le triangle, par exemple, est, et n’est qu’une idée) ; point d’abstraction, donc point de mathématique !
Pivot de l’hédonisme dont ce livre est le manifeste, le corps. Affirmé comme seul existant, mais dans une matérialité étendue, à même de réaliser des potentialités encore méconnues.
Mais voilà, lui opposera-t-on, le corps seul, même étendu, même dionysien, peut-il satisfaire les ambitions, les aspirations de la conscience humaine à la pérennité – ce besoin d’éternité ? Nombreux, sans doute, verront là capitulation, prière faite à chacun de réintégrer son corps, à son corps défendant !
Transcendance à bannir, c’est donc à une lucidité stoïcienne qu’en appelle Onfray.
Il « fait » de la philosophie et son propos est engagé dans les pratiques (libertaires) qu’on lui connaît. D’où un haut coefficient de sincérité à ce livre, à sa personne. Rien de tel que le lire pour voir démystifiés les vocables consacrés de la philosophie : contextualisés par lui, ils ont le brillant de l’évidence ; foin des subtilités (qui font pourtant parfois défaut), fi des arguties, Onfray répudie toute philosophie qui ne serait qu’engluée dans le langage.
Et, comme pour mieux enter sa pensée sur la vie, La puissance d’exister s’ouvre sur une préface autobiographique : Onfray y relate une enfance douloureuse, où l’on sent tous les germes de la combativité qui est la sienne et qui lui a permis de se sculpter en homme libre.
A ces heures de neurasthénie nihiliste dont il dénonce dans le tout-marché le grand responsable indéfini, en nietzschéen, Onfray suggère l’antidote : la réhabilitation du corps et de la pulsion vitale comme référents à toute conceptualisation.
Un livre hautement roboratif.
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