"Et Dieu dans tout ça ?"
I - Avec la pensée dialectique, le mental religieux entretient un rapport trouble : il la convoque d’abord, la répudie ensuite.
Premier mouvement, établir de façon logique l’existence de Dieu en énonçant :
« l’Univers est trop sublime, trop vaste, trop organisé pour n’être pas le fruit d’une puissante volonté créatrice. »
Décréter que l’Univers « est le fruit de... » revient à convoquer le fameux principe logique dit « de cause à effet » : un phénomène D est l’effet d’une cause C qui le précède.
L’existence (D) de l’Univers est l’effet de l’existence et de la volonté (C) de Dieu.
Deuxième mouvement, décréter que l’existence de Dieu et sa volonté (C) sont la cause PREMIERE.
C’est-à-dire décréter que la cause C n’est l’effet de rien qui la précède.
C’est là faire entorse au principe de cause à effet, pourtant utilisé dans le premier mouvement, puisque ce principe selon lequel tout effet a une cause est infini par… principe. Il rejette nécessairement à
l’infini toute cause ultime. Sinon, c’est le principe lui-même qui est faux.
Donc
- soit le principe de cause à effet est juste, et, infini, il réduit l’explication divine à un maillon seulement dans la chaîne de causalités, lequel maillon a sa propre cause, etc. Mais du coup, ça enlève toute vertu explicative à Dieu, puisqu’il faut maintenant expliquer de quoi Dieu est-il l'effet, et ainsi de suite.
- soit le principe de cause à effet est faux, c’est-à-dire qu’il ne se vérifie plus en deçà d’un certain effet A qui, lui, se passerait de toute cause. Mais si l’on admet qu’un effet puisse ne pas avoir de cause, on invalide le premier mouvement, et l’Univers peut donc être lui-même un effet sans cause : il est totalement arbitraire
de décréter qu’il faut déplacer le curseur d’un cran avant lui (l’Univers) pour trouver la cause ultime.
Ce n’est pas, on le voit, dans la classique opposition entre Raison et Foi que se drape confortablement le mental religieux monothéiste ; c’est une ambivalence, sans doute non perçue, qui le fonde : convocation puis répudiation de la raison.
II - La question du "qu’est-ce que je fais ici bas?", celle du sens spéculatoire de l’existence, est une fausse question, en ce sens qu’elle n’a et n’aura jamais de réponse, tout simplement parce qu’il n’y a pas de réponse. C’est une question orpheline.
Elle est liée à l’un des effets de bord qui accompagnent l’évolution cérébrale de l’espèce humaine : la soif de sens, le besoin de comprendre la fin ultime des choses. Mais c’est un problème humain, purement humain.
Or, de même qu’une soif physique a des chances d’être assouvie dans un pays pluvieux, plus difficilement dans un désert et pas du tout dans l’espace intersidéral, la soif de sens ne peut être assouvie en dehors de la sphère humaine : l’Univers dans son ensemble n’a cure de cette notion de sens.
La constante de Planck n'a pas de sens, le nombre Pi non plus, ce sont des nombres./ Ou plutôt, un nombre n'ayant pas de référent, il fait sens en lui-même (à la différence du texte, n'importe quelle combinaison de chiffres vaut quelque chose : elle-même); un nombre n'a pas plus de sens extérieur à lui-même qu'un numéro de téléphone ou qu'un résultat de tirage au loto.
S'il y a du sens quelque part dans l'Univers, c'est très localement (même si la Terre n'est pas la seule planète habitée par des formes de vie "évoluée").
Autrement dit, cette soif de sens peut être satisfaite non par la croyance (stérile, parce que jamais validée) en une justification transcendante de mon existence, en une "raison d'être" (si valorisante pour l'ego, cette croyance relève en outre d’une structure psychologique proche du narcissisme infantile), mais plus modestement,
par la création de sens au sein de la sphère humaine (individuelle et collective). Non pas la transcendance, à jamais invérifiable, mais l’immanence, de même que l’Univers est immanent, sans référent autre que lui-même.
J’ai montré (cf. supra, segment I) que la question du « pourquoi ? », résolue par le décret d’une cause ultime, aboutit forcément à un non-sens : si cause
ultime il y a, c’est-à-dire cause qui ne soit l’effet de rien, le « pourquoi ? » s’arrête là et, par conséquent, dévoile la stérilité de son questionnement, invalide sa pertinence.
Autrement dit, la recherche d’une cause ultime finit nécessairement par se heurter à un mur de contingence.
Evidemment, pour contourner l’aporie, il sera fait feu de finasseries fumeuses (fumeuses en ceci que leur degré de rigueur sera variable et accommodé au désir sous-jacent).
P.S. Il y a peut-être un fil esthétique intéressant à tirer en développant le couple que je n’ai fait qu’effleurer ici : immanence et nombre (n’ayant aucun autre référent que lui-même) d’une part, et transcendance et verbe d’autre part.
Le yéti et le dieu
III - Tout le monde ou presque a entendu parlé du yéti, mais peu, en vérité, l’ont vu. Pour sa description sommaire, il faut donc accorder confiance aux dires de la femme ou de l’homme qui a vu le Yéti. Pour une image, floue, faire confiance à l’honnête vivacité du photographe qui fut, le temps d’un éclair, sur son passage.
Cette confiance accordée, ma foi, reste ici anodine : le Yéti a peu d’influence revendiquée sur la vie humaine.
Dieu en a beaucoup plus... Et le contact s’établit selon un processus très similaire à celui du yéti. A l’origine des cultes qui lui sont voués : un homme (oui, généralement, c’est un homme), avec plus ou moins de subtilité, se fait (ou se laisse) prendre pour le correspondant direct de la divinité :
prophète, messie, gourou, il est seul en lien avec elle.
N’y-a-il pas là disproportion ?
On peut se le demander : comment une entité aussi imposante que la divinité créatrice du Tout, à qui je serais redevable d’un culte, a-t-elle besoin d’un médiateur aussi ténu ? Pourquoi doit-elle faire passer son message à la multitude par un canal aussi étroit que ce médiateur ? Pourquoi se dérobe-t-elle à
la possibilité d’un contact plus direct avec Tous les Hommes ? Serait-ce perverse timidité de sa part ?
Cette disproportion entre l’importance présumée de la personnalité divine d’une part et les moyens par lesquels elle diffuse son
message auprès des Hommes d’autre part, cette disproportion-là ne devrait-elle pas me mettre la puce à l’oreille ?
Ma crédulité ne serait-elle pas grassement abusée ?..
Je pourrais continuer en montrant en quoi une religion monothéiste, en s’appuyant sur les textes d’une parole dite « révélée », est nécessairement intolérante, structurellement totalitaire : si elle est la seule vraie religion, toutes les autres sont nécessairement fausses.
Je pourrais continuer en abordant les mutations de l’idée du dieu des monothéismes dans l’histoire (du Yahvé dieu vindicatif au Dieu miséricordieux de l’actuel christianisme), et montrer comment cette évolution est corrélée aux, et induites par, les évolutions mentales et culturelles des sociétés. Ce qui revient à dire que dieu est un concept historique, culturel, contingent et donc non transcendant.
Je pourrais aussi montrer le sophisme de la preuve dite "ontologique" en usage jusqu’à Descartes.
Je pourrais etc.
Mais ce n’est pas le format ici.
Si un renouveau spirituel de l’humanité est sans doute nécessaire, il ne pourra se faire par entretien d’un théisme moribond. Les avancées scientifiques, la compréhension de la place (assez réduite, il faut bien le dire) de l’Homme dans l’Univers enlèvent au théisme une grande part de la pertinence qu’il pouvait encore avoir il y a quelques siècles.
La culture, l’émancipation politique, l’art devront y suppléer, humblement, à leur niveau : celui d’un imaginaire à même de modérer ce que les économistes sectateurs de la croissance à tout prix justifient par « l’infini du désir », à savoir la supposée insatiable avidité matérielle. Modération à son tour à même de rendre plus osmotique et moins prédateur notre rapport immanent avec notre environnement.
11 janvier 2015
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