Scriptosum - A chaud
Présentation Librairie Atelier 3 mots sur... A chaud Vidéos Liens Contact



Feu la démocratie ?

Les faits sont là, rétifs et résistant à toutes les vociférations. Et ces faits-là ne manquent pas de sel : en France, les dernières élections européennes ont beaucoup mobilisé les électeurs des partis eurosceptiques, et peu ceux des partis officiellement europhiles. C’est dire où en est l’enthousiasme quant à l’idée européenne !.. Les abstentionnistes se sont exprimés à leur façon, par un silence suffisamment chargé de mépris pour être éloquent. Je suis de ceux-là. Que voulez-vous ? A mon âge, j’ai dû tuer quelques illusions, sous peine de ridicule naïveté. Et l’idée que voter puisse être en soi et à soi seul un acte démocratique (c’est-à-dire un acte électif, du latin eligere : choisir ! ) fut parmi mes premières victimes. Pour dire le vrai, je jugerais désormais plus honnêtes les processus électoraux si les bulletins de vote étaient imprimés à l'encre muco-compatible sur ouate de cellulose, de façon à servir comme il est prévu qu’ils le doivent, et à en permettre le recyclage immédiat (donc le plus écologique qui soit) dans les isoloirs intimes des établissements publics (collèges, lycées, hôpitaux, etc.).
Pour autant, il m’arrive de voter ; hélas, seulement lorsqu’il s’agit d’évincer un membre trop ouvertement mafieux du personnel politique.

Mais revenons aux européennes... Car l’arithmétique des résultats (assez éloignée, il faut le reconnaître, de ce que donne, bon an mal an, un scrutin national) le confirme : il s’agissait bien d’élections européennes, c’est-à-dire celles tendant à renouveler le personnel du Parlement européen, et à influer sur celui de la Commission européenne, pour, éventuellement, infléchir l’orientation des choses, négociations, traités, etc., influant sur la vie de cinq cent cinq millions de personnes...

Or, le gros, très gros dossier européen du moment, c’est évidemment le traité de libre échange entre les USA et l’Union européenne (TAFTA en anglais), lequel mettrait en place cette ZLET (zone de libre-échange transatlantique).
Et il a beau être « hénaurme » (comme eût dit Flaubert), ce dossier se négocie en secret, en toute opacité, dans l’alcôve de l’autocratique Commission européenne, autocratique parce que loin de toute pression électorale, pondant des directives coercitives ayant force de loi, ou de simples recommandations sans qu’on sache si un processus démocratique les entérine – « Europe illisible », comme dit François Hollande. A ce propos, des sources tout à fait officielles ont pu vous faire croire qu’en votant le 25 mai pour le Parlement européen, vous faisiez d’une pierre deux coups puisque ce même Parlement voterait, y lisait-on, pour le Président de la Commission !.. (on peut d'ailleurs se poser une question très globale, qui se profile avec le recul qu'offre désormais le fonctionnement européen : dans quelle mesure ce report de souveraineté des Etats vers les institutions européennes, report impliqué par les accords de Maastricht, ne serait pas une astuce pour dé-démocratiser l'Europe ? Pour l'autocratiser, la ploutocratiser, l'oligarchiser, que sais-je ?)
Mais je me disperse... Donc, ce projet de traité qu’on nous cache... Ces cachotteries devraient mettre la puce à l'oreille la plus sourde. La raison officielle, je vous prie, de ce secret ? Rester secret avant d’entrer en négociations avec les firmes américaines (! ! !)
Pour autant, quelques fuites sourdent.
Si le journal « Le Monde » nous dit ne rien savoir (une honte pour un organe d’information, soit dit en passant) ou si peu que le reste relève de « fantasmes » :
Halte aux fantasmes...


« Le Monde Diplomatique », lui, s’est informé :
Un typhon pour les Européens


Et là, l’on est édifié ! Pétrifié ! Pour ma part, j’ai relu plusieurs fois certains paragraphes en me pinçant et, pincé, en me demandant si je n’étais pas halluciné… Mais il semble bien que, d’après d’autres sources, le projet soit bien celui-là : ce traité envisage d’instituer, tenez-vous bien ! d’instituer des « tribunaux spéciaux » qui enregistreraient et instruiraient les contentieux entre les Etats et les entreprises qui s’estimeraient lésées par les réglementations desdits Etats.
Autrement dit, et il faut bien comprendre la philosophie politique de la chose : un matériel législatif (promulgué par un parlement issu d’un suffrage démocratique) consacrant, par construction, des décisions d’intérêt général, cet appareil de lois-là pourrait être mis à mal (voire condamné) au motif qu’il greverait des intérêts privés !
Autrement dit (j’insite) : la justice des intérêts privés prévaudrait sur celle garante de l’intérêt général.
Plus clairement, le droit des démocraties devrait s'inféoder au droit des grands intérêts privés. Une entreprise n’aurait plus à s’inscrire dans le cadre législatif d’intérêt général qui la précède et la dépasse, mais elle le supplanterait et lui substituerait les lois émanant de ces juridictions garantes des seuls intérêts privés !
Je vous laisse voir quelques exemples, tels que Philip Morris vs la législation anti-tabac... en Australie, ou la hausse du salaire minimum en Egypte.

Je l’ai toujours dit : marcher sur la tête finit par endommager le cortex cérébral...

Je ne peux croire que les négociations aboutiront à l’instauration de ce genre d’institution juridictionnelle, et d'heureux précédents (cf. l’accord A.M.I.) alimentent l’espoir : car il en va purement et simplement de la survie de la démocratie.
Pour autant, je doute fort (cf. supra.) que le scrutin européen du 25 mai 2014 fasse infléchir à lui seul les négociations en cours sur la ZLET : il y a une volonté acharnée et réductionniste d'extirper des individus et citoyens tout ce qui leur confère d'autres dimensions que celle, toute simplette, de consommateurs disciplinés. Il y a une avidité des multinationales nourrie au vieux rêve à la résurgence obstinée d'une éradication de toute règle politique.
Mais la résistance démocratique a d’autres cordes à son arc, et je serai, pour ma part, et autant que faire se peut, de toute instance à même de les retendre dans la bonne direction.

28 mai 2014

Apostille du 30 mai 2014 :
Un entretien (tiens, tiens !..) avec Jacques Rancière

"A chaud" précédent