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Un vaudeville estonien

Nous sommes (censés être) en République socialiste soviétique d’Estonie. Aliide et Ingel sont sœurs. Dans leur jeunesse, fin des années 30, l’une et l’autre tombent sous le charme de Hans, un nationaliste recherché par des agents communistes. Et c’est Ingel qui l’aura. Du moins pour un temps : Ingel et Hans se marient et ont une fille, Linda.
Aliide en souffre, mais à défaut, elle mangera du Martin : se mariera avec ce bon communiste dont « la sueur sent l’oignon ».
En secret, Aliide s’obstine à préférer la grive. Avec son mari, Martin, elle organise la déportation d'Ingel et de Linda en Sibérie, et cache Hans dans un cagibi de la ferme estonienne de sa sœur, où elle s’installe avec Martin, sans état d’âme. Malgré son activisme, le beau Hans, lui, restera là, comme un intouchable met de choix, à côté du garde-manger ; geignant de temps en temps (faut bien, hein !) sur le sort de son épouse et de sa fille. Et le mari d’Aliide, Martin, ne saura rien de la présence de Hans dans cette ferme...
Au début des années 90, l’Estonie a tombé le joug soviétique. Une jeune femme, martyrisée, échappée de son asservissement prostitutionnel, arrive dans la ferme qu’occupe toujours Aliide, devenue vieille. Cette jeune fille, Zara, s’avère être la fille de Linda, donc la petite-nièce d’Aliide...

Le récit entrelace (en lassant, ô combien !) ces deux époques.

« Et ce qui surtout m’y intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir ». (André Gide)
Il y a fort à parier que ce qui, somme toute, se résume à un vaudeville féministe, n’était pas le dessein de Sofi Oksanen. Mais faute de grive.. et de talent, elle n’a pu empêcher ce dérapage littéraire.
On y tourne les pages et, ma foi, hormis l’incipit prometteur (cette lutte avec la mouche) d’un personnage qui aurait pu être bien campé, après les cent premières pages, on a l’impression de ne rien avoir lu, absolument rien. Je ne veux pas dire qu’il ne se passe rien, mais qu’il ne s’écrit rien. C’est tout le mérite de cette écriture plate (qu’on mettrait - mais ce serait malhonnête - sur le dos du traducteur), plate si ce ne sont les aspérités laissées par la truelle, malencontreusement utilisée en lieu et place de la plume !
L’Histoire apparaît dans les points grossiers du fil blanc dont est cousue la trame sombre de ce récit, le pimentant du goût d’un condiment éventé.
Les personnages ne parviennent pas à s’extraire du magma de platitudes dont ils sont écrits et qu’ils servent à l’envi dans des dialogues insipides : Aliide n’a pas la moindre épaisseur ; Hans, figure idiote, reste là, docilement malgré l’activiste que c’est, planqué plusieurs années.

Quelques aspérités de détail :
« Elle haletait sans cesse, aspirait l’oxygène par la bouche, car ses narines n’avaient pas assez de force pour tirer l’air à l’intérieur » page 205 (à partir de laquelle j’ai commencé à souligner les niaises sucrettes stylistiques).
« Le silence et les murmures augmentèrent jusqu’à ce que Hans »… p. 215.
« Les orteils se repliaient d’espoir et les cheveux brillaient de joie. Hans ! » p. 219
« La vapeur produite par la respiration d’Aliide s’élevait en une brume dans la chambre et se répandait par le trou de la serrure dans toute la maison » p. 224
« Hans et Ingel qui se fondaient l’un dans l’autre entre les travaux, les cils de Hans qui se mouillaient de désir et l’envie qui battait dans les vaisseaux sous ses yeux » p 229 – 230
« les rideaux fermés sur les yeux de verre de la maison haletaient, et Aliide enterrait sa propre attente. Elle lui ordonnait [à l’attente, si, si !] de rester là-dessous et d’attendre le moment propice » p. 231
« L’espoir, dans un craquement, tombait en poussière derrière les globes oculaires » p. 259
« Zara essaya de se secouer Katia de la tête » p. 264.
« Et elle [la pâte à pain] avait été pétrie avec le front humide, remuée, malaxée… » p. 293
« [la trayeuse] ajustait coquettement sa coiffure avec ses gros bras, dont la chair flasque battait au rythme du cœur sur le projectionniste » p. 371.

Il faudra donc en convenir : l’anatomie et la physiologie des habitants de l'Estonie présentent des singularités inconnues ailleurs !.. Il est louable de renouveler les formules, de "sortir des sentiers battus", mais pour s'éviter le ridicule d'aller se fourvoyer dans un lacis de ronces, encore y faut-il quelque talent !

Enfin, quelques incohérences ou incongruités, relevées jusqu’à ce que je m’en fatiguasse :
p 227 : où sont « les instruments de rasage de Martin » ? Sur la planche de toilette, où les trouve Hans, ou encore dans leur caisse, comme le dit Aliide juste après ?
p. 268 : « la vidéo ne racontait pas l’histoire de Zara, mais celle de Natacha [un pseudonyme de Zara, pris pour sa filmographie pornographique], et celle-ci, elle ne la laisserait pas devenir l’histoire de Zara. L’histoire de Zara était ailleurs, sur une bande de Natacha. »


Je soutiens – et c’est désormais un quasi-théorème, démontrable en chaque livre – que si un ouvrage n’est pas bon dans le détail (dans la facture de sa phrase), il ne peut l’être dans son architecture d’ensemble : la qualité du style intime est une condition nécessaire (mais non suffisante) à la qualité de l’ensemble.

Le troublant (un troublant au demeurant banal, aujourd'hui) reste bien sûr, a priori, que ce livre ait été publié, et a fortiori, qu’il ait décroché un prix (prix Femina étranger) !

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