Pourquoi il faut rejeter le TAFTA (et autres CETA) ?
Le Tafta : détails ici... Et ailleurs
Souvenez-vous (le Système mise beaucoup trop sur l’amnésie collective) : en 1992, date clé dans le processus d’intégration européenne, l’un des arguments forts de la campagne en faveur du « Oui » au référendum sur le Traité de Maastricht était que
l’Europe intégrée allait limiter les effets délétères d’une mondialisation dérégulée des marchés, et faire rempart au mouvement de laminage des esprits et d’acculturation, mouvement visant à formater un consommateur standard et creux, doté d’une
avidité insatiable en tout point de la planète. Mettre, donc, des barrages au libéralisme le plus effréné. Notamment, et l’accent y portait explicitement, éviter l’américanisation des pays d’Europe, parce qu’une Europe aussi forte que les USA saurait leur en remontrer...
Or, après que la propagande a fait l’effet que l’on sait, à quoi assiste-t-on en réalité, et avec une évidence de plus en plus nette et décomplexée ?
Le TAFTA, quoiqu’un peu embourbé aujourd’hui, sera l’exemple-levier de ma démonstration.
Les USA sont un pays d’économie libérale, à un point tel que, là-bas, le Marché est le maître, et c’est lui qui fait le politique : on élit des présidents hommes d’affaires (Bush, Trump) ; le suffrage censé être universel est en réalité biaisé, et fait élire des présidents qui sont en minorité de voix ; quand doute il y a, pour recompter les voix d’un vote, il faut réunir une masse conséquente de dollars (cf. les recomptages de Bush en 2000, ceux en 2016 de Trump), les Noirs sont sous-représentés dans les suffrages ; la répartition des richesses est très inégalitaire, etc. Et tout ça est structurel, culturel, consenti. Le Western, la violence font partie du récit national, les gens déchus du système acceptent (du moins, politiquement) leur condition (à New-York, le nombre de gens à la rue a crû d’une façon faramineuse ces dernières années, notamment, des femmes).
Il y a, dans un coin du rêve américain, ce « quitte ou double » à un jeu où l’on joue sa chemise dans un saloon enfumé, ce « marche ou crève » où trébucher suffit à vous laisser à poil, quand il ne vous laisse pas sans vie, comme un esclave noir.
Donc, pour nommer lucidement leur système politique (car « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » A. Camus.), on devrait, on doit parler à propos des USA, non pas de la « plus grande démocratie du monde » (comme on l’entend régulièrement, prononcé parfois jusqu’à la pâmoison), mais de démocratie censitaire, de démocratie ploutocrate, de quasi-ploutocratie.
C’est évidemment le modèle rêvé de tout libéral.
Vous remarquerez, du reste (soyez attentifs), que, quasiment à chaque fois qu’un média, journal, télévision (pour la plupart privés et aux mains de groupes industriels et financiers, donc libéraux) propose une comparaison sur tel ou tel aspect de la société française, c’est presque toujours en plaçant en seul regard le sacro-saint « modèle anglo-saxon ».
Comme vous apposant des œillères sur les tempes, lesdits médias se garderont bien de vous parler de ce qui se passe qui en Chine, qui en Espagne, en Italie, en Tunisie, en Suède, en Islande, en Russie, etc. Non, il n’y a qu’un modèle de référence pour toute société : le « modèle anglo-saxon » !
Qu’un seul Graal à rechercher : le « modèle anglo-saxon » ! Qu’un seul idéal auquel se conformer : le « modèle anglo-saxon » ! Ce mantra instillé à l'envi grave en nous, et au burin, son message subliminal que nous finissons par considérer comme allant de soi.
Et ne nous leurrons pas, cette propagande est non seulement française, mais européenne.
Les instances européennes sont préoccupées par les seuls rouages du Marché (entité quasi déifiée qui serait l’alpha et l’oméga de tout projet politique). La Commission Européenne, par exemple, est surtout garante de la libre concurrence dans les échanges intra-communautaires : c’est sa vocation première, pour ne pas dire son obsession.
Là aussi, le modèle rêvé, bien sûr, c’est celui des USA.
Alors le TAFTA (et autres CETA) ?
Eh bien, on y est, en plein ! Traité de libre échange à outrance, prévoyant des tribunaux spéciaux d’arbitrage ! Tribunaux qui arbitreraient les contentieux entre les Etats et les multinationales. C’est-à-dire, des tribunaux qui pourront mettre dans la balance de la justice, d'une part, les intérêts privés de multinationales et, d'autre part, l’appareil législatif de démocraties européennes (je vous laisse voir les détails). En sus, car ce n’est pas tout, des représentants de lobbies privés seraient habilités à un droit de regard et de réserve sur les législations en cours d’élaboration dans les démocraties incluses dans ledit traité. C’est-à-dire que les forces de marché et d’argent viendraient biaiser et freiner le libre exercice démocratique (lequel elles honnissent, parce qu’il freine leur dynamique de profit).
Et tout ça s’élabore en toute opacité, dans les alcôves de l’entre-soi, loin de tout contrôle démocratique, si ce ne sont quelques fuites que nous pouvons trouver ici ou là, jointes aux rodomontades de quelques politiques qu’agacent ces négociations occultes.
C’est le modèle américain par excellence ! Pour un américain moyen, il est dans l'ordre des choses que le Marché s'immisce dans le politique et l'oriente...
Mais pour nous, Européens, ça marche sur la tête. Nous ne sommes plus habitués à une telle ingérence des intérêts privés dans le fonctionnement démocratique. Toute notre histoire a tendu, justement, vers l’inverse : réduire la ploutocratie dans l’expression collective, démocratiser les options politiques. Eh oui ! Le Western n’est pas un élément de nos récits nationaux !
Bref, au rebours des promesses et de la propagande des années 90, où l’Europe en était encore à son argumentaire de vente, on assiste à une sorte de trahison du projet européen. D’où la défiance croissante que suscite l’Union Européenne : au lieu d’une émancipation et d’une autonomie politique de l’Europe, la pulsion primaire qui en anime le plus hautes instances est bien celle d’une inféodation, d’un alignement sur le modèle américain.
Le TAFTA en est la pointe la plus saillante et l’expression la plus criante.
Et il faut être bien naïf pour croire qu'il ne répondrait qu’à la seule rapacité de quelques multinationales. C’est un rêve entier qui s’importerait en Europe. Un rêve, ou un cauchermar.
En tout cas, pas un rêve européen.
27 novembre 2016
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